Le projet d'édifier un monument élevé à la gloire des marins de la frégate « la Jeanne d'Arc » morts pour la défense de Bougie en 1871, lors de l’insurrection en Kabylie, date de 1886. La construction a été assurée en 1890 par Léon Alexandre Paul Rambaud (né à Alger le 8 mars 1852), marbrier à Bougie ; il était situé au cimetière chrétien de la ville.
Déjà en 1905, Fernand Bouscasse (1870-1940) et le Conseil municipal de Bougie avaient cédé un
terrain dans le cimetière chrétien pour l'édification d'un monument à la gloire des soldats et marins tués depuis 1830. Ce monument a été construit et inauguré le 1er novembre 1905 par le Souvenir Français (fondé à Bougie le 13 avril 1903) sous la présidence de Jules Wattez.
Dès 1906, la municipalité de Bougie envisage d'élever une statue « Pro Patria » à la gloire de ses enfants morts au champ d'honneur en Kabylie depuis 1830.
La Guerre 1914-1918 est la principale guerre commémorée par les monuments aux morts.
Leur construction massive commence dès 1920. On en construit environ 30.000 entre 1918 et 1925.
Certaines municipalités commencent dès la fin de la guerre. En mars 1916 le comité du « Souvenir-Français » de Bougie prévoit l'érection, sur une place de la ville, d'un monument en commémoration des soldats morts au champ d'honneur.
Pourtant, ce n'est que le 11 décembre 1918 que le Conseil municipal, Fernand Bouscasse étant maire,
prend la décision de la construction d'un monument. Bougie a été une des toutes premières villes françaises à prendre une telle décision.
On opte pour une statue « Pro Patria » en bronze, oeuvre de Camille Alaphilippe (1874-1945), sculpteur français, responsable de la section sculpture de l’École des beaux-arts d'Alger, qui a déjà travaillé pour d'autres monuments d'Algérie comme celui de Philippeville (1922), Aïn-Temouchent (1923), Monstaganem (1923), Batna (1925), Saïda (1926), Tebessa, Guelma, Bordj-Bou-Arreridj.
Cette statue sera dans un premier temps, vers 1924, installée aux abords de la sous-préfecture. L'endroit n'étant pas satisfaisant, on envisage alors de la déplacer entre les deux palmiers de la petite place en face de l'Hôtel de Ville. Après beaucoup de discussions, d'avis opposés de la population et de tâtonnements, on finit par se décider en février 1926 de l'implanter dans le cadre de verdure et de faux poivriers (schinus molle) sur le premier palier des grands escaliers, construits vers 1920, menant de la place du Dr Pierre-Perusset (médecin chef de l'hôpital civil de Bougie, né le 2 mai 1859 à Mâcon, décédé le 7 novembre 1908 à Bougie) au Boulevard des Cinq-Fontaines (devenu en 1929 boulevard Clemenceau). En attendant la construction du monument définitif, la statue est déposée à l'Hôtel de Ville.
Le 28 octobre 1926, le Comité pour l'édification du monument adopte le projet présenté par Maurice Moucan (1893-1982), architecte du Gouvernement Général d'Algérie, diplômé de l’École des beaux-arts de Paris, et désigne une commission chargé d'arrêter la liste des noms qui figureront sur le monument. 240 noms seront gravés sur des plaques de bronze.
La construction commence début 1927 et les travaux dureront plus de deux ans.
Initialement prévue au 2 novembre 1928, l'inauguration du monument aura finalement lieu le dimanche 2 juin 1929, en raison du retard dans les travaux.
C'est à 15 heures, après un repas des autorités préparé par Félix Thermoz (Restaurant « Au Savory ») et servi à l'Hôtel de Ville, que la cérémonie se déroule sous un ciel voilé, présidée par Pierre Bordes (1870-1943), Gouverneur Général de l'Algérie, en présence de F. Carles, préfet de Constantine, Emile Richardot (1881-1962), sous-préfet de Bougie, Hippolyte Gérard (1873-1930), maire de Bougie, de nombreuses personnalités civiles, militaires, religieuses et d'une foule importante de Bougiotes.
Après la Seconde Guerre mondiale, on ajoute 2 plaques de bronze avec les noms de 61 soldats morts au cours de cette guerre.
Après l'Indépendance, avec l'approbation du président de l'Assemblée populaire de Bejaïa, les 24 plaques de bronze sont transférées par la « Cie Schiaffino » jusqu'à Sète (Hérault) où le ministre des Anciens Combattants, Jean Sainteny (1907-1978), se charge d'assurer le transport jusqu'à Bordeaux. Par contre, nous se savons pas ce que sont devenus la statue « Pro Patria », les deux vases médicis qui étaient placés au-dessus des motifs en bronze qui encadraient les plaques des noms.
Le dimanche 19 mai 1968 en fin de matinée, à l'issue de la messe célébrée en présence des autorités et de nombreux Bougiotes (parmi lesquels l'auteur de ces lignes) dans l'église Saint-Bruno, Jacques Augarde (1908-2006), ancien maire de Bougie, et Jacques Chaban-Delmas (1915-2000), député-maire de Bordeaux, président de l'Assemblée nationale, inaugurent le monument installé rue de la Patrie dans le cimetière de la Chartreuse à Bordeaux, contre le mur qui longe la rue Georges-Bonnac. Avec le dépôt de gerbes de fleurs, vint le moment poignant où commença la longue lecture à haute voix de tous les noms gravés sur les plaques ; ainsi entendit-on pour la première fois sous le ciel de Métropole le traditionnel Appel aux Morts qui scelle l'union des cœurs entre ceux qui ont donné leur vie et ceux qui ont bénéficié de leur sacrifice.

Alain Garda