L'ADDUCTION D'EAU DE KÉFRIDA

Une précision à apporter avant de développer le sujet : en date du 31/12/1933, M. Tourneux François, maire de Oued-Marsa, faisait remarquer aux « Ediles » de la ville dans une Tribune Libre de l’Echo de Bougie, que le nom de Kéfrida ne pouvait être donné au captage de ces eaux par notre ville. Il soutenait, que Bougie confondait les sources de Kéfrida et celles d’Ikeraouane qui nous alimenteront. Il précisait que les eaux de Kéfrida alimentent la ville de Oued-Marsa depuis deux ans, que ces deux sources sont séparées par le massif de l’Adrar Djamah N’Siah et qu’elles n’ont pas le même bassin ni la même direction d’écoulement. Les eaux de Kéfrida coulent vers la mer par l’oued Sidi Réhane et celles d’Ikeraouane, que Bougie veut capter, vers l’oued Zitouna. En effet ce furent les Romains qui donnèrent ce nom de Kéfrida à ces sources, qui sourdrent de ce massif  (déformation du nom romain : Aquae frigidae, de ces eaux froides qui coulent du col de Kéfrida). La Municipalité de Bougie, devant sa méconnaissance de la chose, ne put qu’acquiescer, mais le nom de Kéfrida continua à leur être attribué.

Vers 1928, face à la pénurie importante d’eau pour la ville, un projet fut mis à l’étude pour le captage des eaux des sources d’Ancer Ikeraouane – Kéfrida. Projet important qui demanda à être financé en partie par le Gouvernement d’Algérie. De nombreuses réunions furent nécessaires pour qu’il aboutisse. On peut suivre dans la presse locale les comptes rendus de celles-ci. Ce n’est qu’en mai 1933, après l’acceptation définitive, qu’un concours fut ouvert pour la construction d’une conduite en fonte de 30 kms de diamètre 250 à 150mm et de toutes les infrastructures nécessaires. En 1928 avait également été demandée la construction de citernes (5000m3) pour le stockage de l’eau (sur des acquisitions de terrains militaires) (1). En 1932 le Maire informe le Conseil Municipal que cette réalisation va permettre à la ville de posséder un volume d’eau conséquent. L’emprunt demandé à la Caisse des Dépôts est de taille : 7.600.000 frs ! Ce n’est qu’en 1935, le 24/2, que la presse locale signale  que l’eau coule par le Griffon du minuscule jardin de la place de la mairie (place Foch-voir photo ci contre). En mars 1936 les réservoirs commencent à se remplir. La ville semble enfin sortir de cette impasse. Le projet aura couter près de 8 millions de francs de l’époque.

C’est la Société des Aciéries de la Sarre qui fut adjudicataire du marché.
Le Maire, M. Félix Borg, effectua même en novembre 1934, un survol de 35 minutes du chantier de la conduite à bord d’un avion de l’aéro-club de la Soummam (dessin de Roland Pêtre).
Il faut noter aussi, puisque l’on parle d’adduction d’eau, qu’en 1933 un article paru dans l’Avenir de Bougie, signé du Secrétaire général du gouvernement (M. Peyrouton), alertait  les Elus, sur les problèmes de pénurie d’eau destinée à la population. « Le premier devoir d’une municipalité est d’assurer à ses administrés la consommation d’une eau saine et abondante ». Cet article vantait les vertus du traitement de l’eau par filtrage dans un premier temps puis par épuration au moyen de procédés que la science avait mis récemment au service des municipalités. Il suggérait le pompage des eaux de la Soummam, soit en surface soit  par filtration naturelle, au moyen de puisards quand le lit de cette rivière serait asséché à la période chaude. La stérilisation de cette eau pourrait se faire par javellisation, l’ozonisation et la verdunisation (2).  Ce dernier procédé, le plus récent, né de la guerre 14/18. Cet article tentait à démontrer particulièrement, que le seul entretien de la conduite de Kéfrida serait aussi couteux qu’une station de pompage et de verdunisation. Il demandait, avant que les travaux ne démarrent, que la question soit étudiée de près par une commission du Conseil municipal entourée d’experts. Ce procédé très économique, de stérilisation de l’eau, existait déjà depuis plusieurs années et avait fait ses preuves. Il ne fut pas retenu bien que supporté par l’hydrologue M. Ferlay (que l’on retrouve dans l’article sur l’eau des Aiguades) qui fit de longs exposés pour rappeler à la Municipalité les problèmes de l’hygiène en matière d’eau…
Il y eu beaucoup de détracteurs à ce projet d’adduction de Kéfrida. La presse locale de l’époque a rapporté les joutes auxquelles se livraient ces personnes par articles interposés. Du vrai « Clochemerle ». La satire non plus ne lésinait pas et le maire de l’époque, Félix Borg, en prenait régulièrement pour son grade.
Des blagues étaient dispensées par la Presse comme celle-ci par exemple alors que Bougie attendait désespérément l’eau de Kéfrida : On demandait à un condamné :

  • Quelle est votre dernière volonté ?
  • Boire l’eau de Kéfrida.

L’hydrologue Ferlay ne  lâcha jamais les Elus et exprimait sa rancœur de ne pas avoir été écouté, par de longues diatribes qu’il faisait paraître dans les colonnes de l’Avenir de Bougie, journal d’opposition. A cette époque, cela va disparaître bientôt nous dit-on, il était beaucoup fait usage d’expressions latines dans la Presse. C’est un régal de relire tout cela !

Cette nouvelle adduction était devenue indispensable, celle des Aiguades s’avérant insuffisante et celle de Toudja demandant beaucoup d’entretien et de rénovation.
Mais Bougie n’en avait pas fini, la conduite de Kéfrida causa à son tour beaucoup de tracas à la Municipalité : principalement des bris de tuyaux dus aux affaissements de terrains sur le parcours et surtout du côté de Tichy. La Presse locale nous fait défaut à partir de cet instant pour commenter cela (les archives cessent en 1940). Quelques uns d’entre nous, les plus anciens, ont certainement été témoins d’une partie de ces événements.
Félix Borg (Félix 1er comme le surnomma la Presse d’opposition) fut maire de 1929 à 1945.

Malgré tous ces efforts, Bougie continuera à manquer d’eau régulièrement vous vous en souvenez.

Recherche et mise en page par Roland Pêtre.

1 - Ces citernes furent construites dans un point haut de la ville, au dessus de l’hôpital civil. Entre la rue du Gouraya (prolongement de la rue Fatima) et la rue des Citernes (citernes romaines), ces deux rues se rejoignant à la Porte du Gouraya d’où partait la route qui montait au sommet. D’autres citernes existaient, à Clauzel, au Camp inférieur, une autre à la caserne Charles Roux… Une citerne romaine existait sous le bâtiment de la Mairie. Elle connue une autre destinée et fut transformée en salle de lecture pour la bibliothèque attenante. Collégiens, nous aimions bien venir faire nos devoirs en sortant de nos cours
2 -  Verdunisation : utilisation du chlore, principalement, en plus de la javel et brassage de l’eau.
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