Paru dans l' Écho de Bougie 2015

 

Histoire de Zebida de la BONNINIÈRE de BEAUMONT
liée à la Mosquée Sidi Sofiane de Bougie

LA MOSQUÉE DE ZEBIDA

Une petite histoire charmante qui s’adresse principalement à ceux qui habitaient le quartier des Cinq Fontaines. Vous vous rappelez certainement cette petite mosquée qui se dressait discrètement au milieu du quartier Achaalal ou Acherchour. A notre époque, le muezzin n’avait que sa voix pour appeler les fidèles à la prière. Chacun s’en souviendra (1). Mais pourquoi parler de cette mosquée ? Dernièrement une de nos compatriotes est partie en « pèlerinage » dans sa ville natale avec ses enfants, sa belle-sœur et ses nièces pour leur faire découvrir le pays de son enfance. Accueillie dans une famille béjaouite, elle en a ramené un récit assez étonnant ! Nous lui laissons la parole et compléterons son récit avec quelques précisions obtenues par la suite :

« Lors de mon séjour à Bougie en Octobre 2014, j’ai eu la chance d’être reçue chaleureusement dans une famille, les Ladjouze (2). Mohamed Ladjouze, m’a raconté une histoire assez étonnante sur l’origine de cette mosquée, Sidi Sofiane.
Mohamed est un descendant (2), par sa branche maternelle, de la Comtesse de la Bonninière de Beaumont dont voici l’histoire.
Zebida Bent Tahar (3), de la tribu des Bengana, est née en 1848 à Taourit Naït Gana (Fenaïa), près d’El Kseur, où la famille de cette dernière s’était installée après avoir fuit la région de Biskra, d’où elle était originaire, afin d’échapper à des rivalités tribales (12).
Les Bengana possédaient de nombreuses terres au début de la colonisation. Un jour, Zebida, accompagna ses parents et sa sœur Zoubida venus à Bougie pour protester auprès du Tribunal, contre l’expropriation d’une partie de leurs terres.
Le Comte Antoine Emile Jules Bonnin de la Bonninières de Beaumont (4 et 5) officier d’infanterie en poste à Bougie, en était alors le Président. Il tomba follement amoureux de la belle Zebida, demanda sa main et promit de régler le problème si les parents acceptaient cette union. Après avoir essuyé deux refus, ils se marièrent en grandes pompes à Bougie en 1863. Zebida(6) avait 15 ans et son mari 25 ans. Désormais elle était la Comtesse Zebida Bonnin de la Bonninière de Beaumont (7).
Ils habitaient une belle demeure aux Cinq Fontaines (8) (dans la petite ruelle face à la clinique Bréchet – rue ou impasse Monié). Ils eurent quatre filles, Marie l’aînée, née à Bou Saâda en 1864, Louise en 1869, Gabrielle en 1872 et Hélène en 1877 à Bougie peut-être (9).
On ignore la date du retour en France métropolitaine du Comte qui entre temps était devenu colonel, mais on sait que sa femme refusa de le suivre. Très fortuné, le Comte légua une part importante de sa fortune à Zebida.
Pour laver ce « pêché » d’avoir épousé un « chrétien », elle fit don d’un terrain jouxtant sa demeure et finança la construction de cette mosquée (10). De tout temps les musulmans de Bougie l’ont surnommée « Baba Fessiane » qui pourrait signifier « officier », eu égard au grade du mari de Zebida à ce moment-là. Pour une ressemblance de nom, cette mosquée a été rebaptisée plus tard « Sidi Sofiane » mais les autochtones l’appellent toujours « Baba Fessiane ».
Zebida est décédée à Bougie en 1925 et enterrée au cimetière Sidi Mhamed Amokrane.

Transmis par Evelyne Duchemin
fille de Jacques et Marthe Ningre.

 

Les rajouts ci-dessous viennent de recherches effectuées par Roland Pêtre, de l'Association des Anciens de Bougie, pour conclure cet article.

(1)   Pour ma part, rédacteur de cet article natif de Bougie, je m’en souviens très bien car au cours de la guerre nous vivions chez mes grands-parents Ningre au premier étage du 51 de la rue du Vieillard (une maison Baba-Aïssa, face au square). Nous étions donc très proches de cette mosquée et pouvions voir et entendre le muezzin appeler à la prière.

(2)  Pour ceux qui les ont connus, les Ladjouze habitaient Bd Clémenceau. Le père de Mohamed travaillait à la SAP puis plus tard aux P&C. Le père de Mohamed Ladjouze était, je crois, le beau-frère du docteur Adjali.

(3) Zebida était la tante du grand-père maternel de Mohamed. Ce grand-père était capitaine de Spahis – légion d’honneur 1906 (voir arbre généalogique).

(4)  La mère du Comte s’appelait Clémentine Adrienne Motier de La Fayette, petite fille du Marquis de La Fayette qui se rendit une deuxième fois en Amérique en 1780, à bord de l’Hermione, pour prêter main forte à Georges Washington lors de la guerre d’indépendance (voir arbre généalogique). La famille de la Bennonière de Beaumont est originaire de l’Indre et Loire où elle possédait de nombreuses propriétés.  Famille de la noblesse française qui « donna » de nombreux militaires de haut rang. Voir aussi en annexe l’arbre généalogique des de la Bonninière de Beaumont.  

(5) Le comte a fait l’école militaire de St Cyr, a été chevalier de la Légion d’honneur -07/06/1865 – et officier le 29/12/1882. Il était lieutenant au 3ème tirailleurs, chef de bataillon d’infanterie et commandant du cercle du Boghar – sud de Médéa - (extrait des archives militaires du château de Vincennes).

(6) il y a une divergence de vue avec la généalogie de Antoine (Généanet) qui donne comme date de mariage le 31/01/1876, un lundi. Cela voudrait dire que les trois premiers enfants seraient nés avant le mariage officiel. Etrange ! Il faudrait avoir accès à l’état civil de Bougie pour en apprendre un peu plus. Mais… chose apparemment impossible semble-t-il.

 (7)  Une autre version nous est parvenue d’un de nos érudits aujourd’hui disparus (11). Le Comte aurait découvert Zébida, alors qu’elle n’avait que 12 ans, dans les circonstances évoquées ci-dessus par les Ladjouze. Il la trouva fort jolie et aurait mis son dévolu dessus. Il aurait obtenu de ses parents, après maintes palabres, de l’emmener en France afin qu’elle y reçût une éducation en conformité avec son futur rang de comtesse (13). Après son mariage, elle connut une vie particulière dans ce milieu de la noblesse à Paris, jusqu’au décès de son époux en 1919. C’est à ce moment qu’elle décida de rentrer en Algérie pour y finir sa vie et faire construire cette mosquée (Les Ladjouze n’étaient pas au courant de tous les faits).

 (8) Au cours des bombardements de novembre 1942, lors du débarquement des Alliés, il semblerait, d’après certains, qu’une bombe soit tombée sur ce groupe de maisons… sans trop faire de dégâts semble-t-il !

 (9) La famille de la Bonninière de Beaumont a laissé des traces à Bougie. Dans un Echo de Bougie, n° 1571 du 18/09/1927, un faire part de mariage apparaît dans une rubrique « Mondanités » annonçant le mariage, dans la Sarthe, d’une petite fille (fille de Marie, l’aînée) de Zebida et quelques autres que nous joignons en annexe.
Marie était mariée avec un M. Edmond Hennocque, général***.
La deuxième fille de Zebida, Louise est décédée à l’âge de 5 ans.
On retrouve trace de la 3ème fille, Gabrielle, en 1926 lorsqu’elle vint à Bougie pour régler une vente de terrain. Il est dit qu’elle est toujours célibataire (54 ans) et qu’elle vit  au Mans (Echo de Bougie n° 1509 du 11/07/1926). Pas de trace de la 4ème, Hélène. D’après Mohamed, elle aurait pu immigrer aux Etats Unis.
D’après la généalogie (Généanet) de cette famille, Hélène serait décédée l’année d’après sa naissance en 1878 !
Tout cela serait à vérifier.
Voir aussi « Concessions » du cimetière chrétien en annexe.
Les relations n’existent plus depuis bien longtemps entre les descendants du comte et de la comtesse. Les vivants ne les ont jamais rencontrés. Les descendants des Ben Ganna (famille de Zebida) sont toujours présents… dans le même village près d’El-kseur.

 (10)  On y accède par les escaliers ou rue Baba-Aïssa à gauche de l’école Charles Roux.

(11)  Cette version nous a été transmise par un Bougiote, un érudit aujourd’hui décédé, descendant des familles Dufour (Louis) et Hovelacque qui ont marquées Bougie et principalement sa région au tout début. Les Dufour se sont investis des 1860 pour le bien des deux communautés apportant leur savoir dans l’agriculture, principalement celle de l’olivier. Ils furent à l’origine de la construction de moulins à huile modernes dans les régions de Roumila, Ighzer Amokrane et autres (une très longue histoire). Le premier Hovelacque arrivera par hasard à Bougie à la suite du naufrage de son bateau au large de la ville (en 1918, La Dives coulé par un U-Boat allemand) alors que son destin aurait du l’emmener en Argentine rejoindre sa famille. Il fut recueilli chez les Dufour (Charles, fils de Louis) et épousa une de leur fille. Sa qualité d’ingénieur agronome intéressa vivement la famille Dufour qui venait de perdre ses deux garçons à la guerre. Il existe toujours à Bougie la magnifique et imposante villa Dufour et une rue Paul Dufour tué au cours de la guerre 14/18 (de la place Martel à l’ancien garage Thureau).

(12) dans son livre « l’histoire des sultans de Touggourt » Charles Ferraud parle de l’histoire des Bengana.

(13) Cette institution serait l’école de la congrégation de ND des Oiseaux à Paris 84, rue de Sèvres (7ème) ancienne école, aujourd’hui disparue, de la noblesse parisienne.

 

PS - Certains éléments de ce texte ont été contrôlés sur Internet, notamment dans les arbres généalogiques des familles de la Bonninières de Beaumont et La Fayette.

Photo : image récente de cette mosquée (photo E. Duchemin).
(photo prise dans la rue Monié ou de la clinique Bréchet. On aperçoit tout en haut le bâtiment de l’école Charles Roux, rue Lambert et sur la gauche le groupe de maison où vivait Zebida et où serait tombée une bombe lors des bombardements de 11/1942*).

* Je rajoute une précision, nous vivions à ce moment-là chez mes grands-parents aux Cinq fontaines et une seconde bombe est tombée juste à droite de l’immeuble obligeant les habitants à aller se réfugier dans des abris creusés dans la butte à gauche du chemin Oued Chellal en montant. Nous disions « en dessous des Buadés ».

Accés arbre généalogique famille Zebida

CONCESSIONS
Cimetière chrétien
Extrait du registre des Concessions dont l’association détient une copie.

Une demande de concession avait été demandée le 23/09/1884
pour la famille de BEAUMONT.
Propriètaire
N° concession attribuée : 25
Surface : 14,68 m2
Durée : perpétuité
Demandeurs : Mlle Louise de Baumont et Mlle Hélène de Baumont
(filles n° 2 et 4 de Antonin et Zebida)
Nous ne savons pas qui fut inhumé dans cette tombe. Il faudrait la retrouver pour voir si des inscriptions y figurent.

Nota :
Antonin de la Bonninière de Beaumont est dcd au Mans en 1919
Zebida est dcd à Bougie (certainement) en 1925
Marie (n° 1 ) est dcd en 1949 (certainement en France)
Louise (n° 2) est dcd en 1874 où ? *
Gabrielle (n° 3) est dcd en 1972 (certainement en France au Mans où elle vivait)
Hélène (n° 4) ? quand  et où ? *

 

*   il y a contradiction avec l’arbre généalogique en ligne des de Beaumont qui signale Louise dcd en 1874 alors qu’elle accompagnait sa sœur Hélène pour une prise de concession en 1884 au cimetière chrétien de Bougie.
** même remarque pour Hélène qui est signalée dcd en 1878 alors qu’elle accompagnait sa sœur Louise en 1884 pour cette prise de concession.
Seuls les avis de décés pourraient nous aider. Les mentions marginales (mariages, dc, divorces etc.) n’apparaissent sur l’état-civil français qu’à partir de l’année 1886.

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