Quel Bougiote n'a pas une fois, longé les murs de ces vastes bâtiment avec une haute cheminée et un portail d'entrée surmonté d'une enseigne, situés quartiers de la “Plaine” après la caserne de Gendarmerie. Les anciens l'appelaient “l'usine Matas”, devenue par la suite “SOFRALI - Société Française du Liège”.
Certains sont entrés dans cette usine pour y travailler, mais peu savait ce qui se passait à l'intérieur. En ce lieu se fabriquait ce modeste bouchon que l'on jette si facilement lorsque l'on a ouvert une bouteille. Il a pourtant nécessité tant d'opérations manuelles et mécaniques.
Combien d'années il a fallu à cet arbre, le chêne-liège, pour produire la matière ?
Combien de mains ont manipulé cette écorce pour en faire ce bouchon si utile ?
Depuis ce temps-là les procédés de fabrication et la matière première ont évolué, au point de ne retrouver que rarement notre fameux bouchon de liège naturel.
La SOFRALI occupait une surface importante de ce quartier. En 1956-57, si ma mémoire est bonne, un incendie d’origine criminelle a détruit le bâtiment le plus important, celui où se trouvaient toutes les machines, privant ainsi de travail une importante partie du
personnel autochtone.
La Direction de cette Usine était assurée par Monsieur J. FONS catalan espagnol, qui a été mon Directeur, et je dirai mon instructeur, pendant les huit années que j'ai passé au service de cette entreprise.
LE CHENE LIÈGE
C'est de cet arbre que provient la matière première. Après sa plantation, il faut attendre vingt-cinq années pour qu'il devienne exploitable. Sa première écorce appelée “liège mâle” (ou vierge) boursouflée, crevassée, de couleur claire se forme avec parfois des traces de mousse. On commence à ôter cette écorce (on disait démascler) qui est impropre à la bouchonnerie. Une nouvelle écorce se formera et au bout de dix années, elle aura un aspect presque lisse mais légèrement croûteux et de couleur sombre. On la nommera “liège de reproduction” (ou liège femelle) On démasclera l'arbre au moment de la montée de sève. Cette écorce sera acheminée vers un dépôt où elle sera empilée pour être mise à la vente (un de ces dépôts se trouvait sous la surveillance des Eaux et Forêts sur les terre-pleins, à proximité de la saboteuse des Chemins de Fer). Ces piles de liège seront identifiées par une pancarte indiquant le nom de la forêt, leurs poids et un numéro d'ordre. Les lièges mis à la vente étaient en majorité propriété de l'Administration des Domaines. Il appartenait aux futurs acquéreurs de visiter les dépôts et d'estimer la valeur de toutes les piles. Nous appelions cette opération les “sondages”. Nous prélevions dans chaque pile une petite quantité de liège et en faisions un classement à terre suivant leur épaisseur, ce qui permettait d'en établir un pourcentage. Par ailleurs nous examinions de long en large tous les bords de la pile pour avoir une opinion sur les défauts qui pouvaient apparaître : inclusion terreuse (grain rouge), soufflures (poches d'air) et taches jaunes (pourriture). Tous ces renseignements étaient consignés sur des fiches que consultait notre Direction, au moment des enchères car les prix se cotaient en fonction de ces critères.
Rentrons dans l'usine par la porte centrale. À gauche, un pont bascule qui pèse tout ce qui rentre et sort et de ce fait assure un contrôle journalier Nous arrivons sur un vaste terrain au centre duquel il y a un grand terre-plein surélevé. C'est sur ce terre-plein que seront stockés les lièges achetés, que des camions transporteront. Tout ce liège sera emmené dans une partie de l'usine où il y avait deux grandes cuves d'eau. Cette eau était portée à ébullition par de la chaleur produite par une chaudière, dont on aperçoit la cheminée. Journellement, une quantité de liège sera empilée dans deux grands paniers faits de cuivre. Ces paniers seront mis dans les cuves et le liège restera à bouillir pendant une heure. Tout le liège brut du terre-plein passera par cette opération, “l’étuvage”.
Tout ce liège encore humide, assoupli par le bouillage, sera empilé dans un vaste hangar, sans lumière, local nommé “salle de repos ». Après quelques jours, les planches courbées deviendront planes et pourront être transformées en produit finis.
LE BOUCHON CYLINDRIQUE
Pour fabriquer le bouchon courant, qui fait entre 20 et 24 mm de diamètre, il faudra une planche d'une épaisseur double. On retire donc ces planches du lot et on en tire des bandes, à la machine, d'une largeur correspondante à la longueur approximative de celle du bouchon. Ces bandes sont amenées aux perforateurs qui, avec leurs machines emporte-pièce, munies d'un tube acier affûté automatiquement et en permanence, tournent à grande vitesse. L'ouvrier chargé de ce travail, actionne à l’aide d’une pédale un mécanisme qui rapproche le tube du bloc de liège pour le perforer. D'un côté sortiront les bouchons, et de l’autre les déchets qui seront récupérés dans des corbeilles.
Ces bouchons passeront ensuite dans deux sortes de machines, une rectifiant son diamètre à l'aide de disques de papier-émeri, l'autre rognant les bouts afin qu'ils aient tous la même longueur.
De là, ils subiront deux bains, un, d'eau additionnée de chlorure de chaux, l'autre d'eau additionnée d'acide oxalique, puis seront séchés à la vapeur d'eau. Ils pourront alors rejoindre la salle de triage. Déversés par une trémie, ils défileront sur des tapis roulants devant les trieuses chargées de prélever la qualité qui leur à été désignée (la majorité des femmes occupées à ce travail étaient autochtones) et rempliront des corbeilles qui, qualité identifiée, iront à l'emballage et au marquage, et figureront sur nos inventaires.
Certains clients voudront faire figurer leur marque sur les bouchons, ils fourniront alors une plaque de bronze gravée à l'envers et sur laquelle cette marque figurera. Devant cette plaque chauffée par une flamme, les bouchons arriveront, tourneront mécaniquement et par un léger brûlage la marque sera imprimée.
D'autres voudront des bouchons paraffinés. On remplira un tambour dans lequel on y mettra bouchons et morceaux de paraffine que l'on fera tourner rapidement, et par frottement, les bouchons recevront ce revêtement. |
La qualité du liège et la fabrication étaient importantes car parfois des bouchons, faits avec des lièges de mauvaises qualités, donnait un goût désagréable au vin. Plusieurs procédés apparaîtront plus tard pour remédier à cela.
LES BOUCHONS CONIQUES
Moins demandés que les cylindriques ils seront fabriqués autrement, car on ne peut employer les tubes emporte-pièce pour ce travail. La même qualité de liège sera utilisée après sa sortie de la salle de repos. On y prélèvera des planches selon leurs épaisseurs et au lieu de tailler des bandes, on en sortira des cubes (appelaient des “carrés”). Ces cubes pris automatiquement par deux griffes, à la sortie d'une trémie (on orientera ces griffes selon la conicité que l'on voudra donner au bouchon) seront présentés devant une longue lame plate très affûtée mue par un mouvement de va-et-vient qui découpera le carré en bouchon. Cette machine était appelée “rabot”.
Les opérations suivantes seront les mêmes que pour les cylindriques.
LE LIEGE EN PLAQUE
En plus des opérations “bouchonnerie”, on procédait à l'élaboration de plaques de lièges préparées (dans la profession on employait le terme “liège visé”). Toujours pour les planches sorties de la salle de repos et qui n'ont pas servies à la bouchonnerie. On en grattera mécaniquement la croûte, opération dite “raclage”. Les planches obtenues iront dans l'atelier appelé “visage”. Déposées sur une table haute, l'ouvrier spécialisé, à l'aide d'un couteau dit “couteau de Liégeur”, enlèvera les parties inutiles et fera apparaître une tranche lisse de la planche pour en déterminer l'épaisseur et la qualité du liège. Ces planches seront alors mises en balles à l'aide d'une presse manuelle et cerclées de feuillard. Ce liège préparé était apprécié par les petits artisans bouchonniers de métropole, qui n'avaient pas la possibilité d'acheter des piles de liège brut sur site.
TRAITEMENT DES DECHETS
Provenant des restes de la fabrication des bouchons et ceux du “visage”. Mis en balles par une presse hydraulique, balles cerclées de gros fil de fer, ils étaient entreposés, particulièrement sur les terre-pleins de l'arrière-port en vue de leur embarquement pour la Métropole et l'étranger.
CONCLUSION
Depuis l'époque où se situe ce récit et où je n'ai plus fait partie du personnel de cette société, il s'est écoulé beaucoup de temps. D'autres occupations m'ont éloigné du sujet. Il y a eu une énorme évolution. Toutefois, certains souvenirs sont restés intacts dans ma mémoire, hormis quelques lacunes. Je crois pouvoir imaginer ce qui s'est passé. Il y a quelques années déjà, on a pu voir que les bouchons dit de champagne, avaient une structure diversifiée, entre liège brut et liège aggloméré. On a privilégié les récoltes de lièges tous les neuf ans donc plus rapprochées au détriment de son épaisseur. Une pénurie s’est instaurée et la profession a dû se rabattre sur l'aggloméré.
Puis il y eut le recyclage des déchets réduits en granulés et qui serviront à l'isolation, acoustique principalement. Il y eut ensuite l’arrivée massive sur le marché, des matières plastiques (polystyrène expansé, PVC, etc.) qui ont pris la place du liège et certainement pour un coût moindre. Les déchets n’ont plus trouvé de débouchés. Que fallait-il en faire ? Grâce à l'adjonction de nouvelles colles puissantes, est né l’aggloméré. De cet agglo, pourquoi ne pas en faire des bouchons ? Un nouveau mode de fabrication est apparu. On a perforé à la verticale, à l'aide d'une batterie de tubes, des plaques d'agglo et je crois même que l'on a fait des barres rondes en agglo, que l'on a découpées en morceaux, comme du saucisson. Par la suite, pour certains bouchages on a utilisé uniquement le plastique. Vous avez tous suivi cette évolution.
Voilà où nous en sommes.
Si parmi vous des personnes plus qualifiées peuvent nous en dire plus,
qu’elles se manifestent, on n’en sait jamais assez.
Marcel CASTELL
NB - cet article est paru dans notre bulletin d'information de 2010