I - Nous avions déjà abordé le sujet dans l'Echo de Bougie de septembre 2004, un article signé Bernard Salord
L'article de Bernard Salord retraçait principalement le décor du dôme de l'église St Joseph, décor réalisé par son père en 1939. Il citait également les noms de nombreux peintres, Bougiotes ou autres qui se sont essayés sur des paysages ou des édifices de Bougie et de sa région. Nous les citerons à nouveau :
Mrs Frédéric André, André Jougougnou*, Gilbert Durand, Pompéi, Georges Gervais, Albert Cattagni, Norbert Kuntz, Jacques Vidal, Georges Charotte, Mmes Guérin, Rolande Oualid et d'autres.
Des artistes peintres ont propagé cet art en Algérie, car ils exposaient leurs toiles : Marius de Buzon, né en Gironde et qui était un amoureux de notre Algérie et encore Emile Bou, Jean Bourreau, Ortéga, Madrigali, Granata, Tona... Tous ces artistes ont souvent exposé à Bougie.
II - Dans l'Avenir de Bougie de septembre 2009, un article signé Claude Servies. Ce même numéro reproduisait en couverture un tableau de Jougougnoux qui trônait sur un mur du café Richelieu à Bougie.
Claude Servies nous disait :
Avec le concours d’acteurs anonymes, possédant des œuvres ou reproductions de divers artistes, nous avons décidé de réunir ces photos de tableaux afin d’illustrer la page dédiée aux peintres qui sont passés en Algérie et particulièrement à Bougie et environs dans les années 1900.
Peut-être qu’en lisant ces quelques lignes, et en voyant défiler les noms de ces peintres, des souvenirs vont renaître en vous, et si vous possédez des œuvres de ce genre n’oubliez pas de nous adresser des copies afin d'enrichir notre site Internet sur lequel nous regrouperons toutes les photographies qui nous sont parvenues.
Parmi les œuvres que nous avons pu regrouper nous avons noté les noms d’Emile Aubry, Marius de Buzon, José Ortéga, Eugène François Deshayes, Benjamin Saraillon, Henri Jougounou, Louis Granata, Bidon, Albert Marquet, Bou, Guerin.
Nous avons, en quelques lignes, essayé de retracer la vie de certains de ces acteurs les uns nés en Algérie, d’autres venus de Métropole.
- Emile AUBRY né à SETIF en 1880, il reste très attaché à ce pays notamment à travers ses œuvres. Il s’inspire de la beauté et de la spiritualité des textes bibliques. Il reçoit le prix de ROME en 1907. Après 5 années en tant que simple soldat, il peint l’Hommage aux Morts de la Guerre. Elu à l’Académie des Beaux Arts en 1935, décéde en 1964 à Voutenay-sur-Cure.
- Marius de BUZON né le 18 Septembre 1879 à La Roque, est un peintre français de l’école d’Alger. Ecole des Beaux Arts de Bordeaux, puis école Nationale des Beaux Arts de Paris, reçoit le prix Lefebvre-Glaize en 1910 et la médaille du Salon des Artistes français en 1911.
Mobilisé en 1915 en Kabylie il passe une période de quinze mois dans la région de Michelet et Fort National qu’il parcoure à pied et à dos de mulet, « je découvrais des êtres, la végétation, l’atmosphère et le reste afin de parvenir par la magie de l’émotion à transposer la couleur en matière vivante ». Nommé président du Comité de patronage de la Villa Abd-el-Atif, décéde à Alger le 26 novembre 1958.
- José ORTEGA (1877-1955) né en Espagne, il étudie à partir de 1899 aux Beaux Arts d’Alger. Elève de Hippolyte Dubois aussi de Rogrosse et Gabriel Ferrière à Paris.
Il expose au Salon des Artistes Algériens et Orientalistes des paysages très colorés. Visite Bou-Saâda en 1911 avec Maxime Noiré. Fondateur du Salon des Artistes Indépendants d’Afrique du Nord en 1925.
- Eugène François DESHAYES (1868-1939) Elève de Jean-Léon Gérôme, il expose à Alger à partir de 1890. Il se déplace dans tout le Maghreb et ses œuvres connaissent un grand succès en particulier ses peintures sur l’Algérie. Il devient peintre officiel de la marine en 1910.
- JOUGOUNOU, ancien professeur de dessin au lycée de Sétif, était spécialisé dans les personnages kabyles. Il fut assassiné pendant qu’il peignait dans la rue Fatima à Bougie. Nous n’avons pas plus de renseignements sur cet artiste qui habitait rue du 59ème de Ligne à Bougie.
- Louis GRANATA (1901-1964) peintre algérois mort de désespoir d’avoir été contraint de quitter son atelier d’Alger en laissant la majorité de ses œuvres.
Cet Italien souhaitant devenir français va accomplir son service militaire en 1939/40.
Elève de Rochegrosse et Dinet monuments de la peinture orientaliste, il obtient une multitude de récompense depuis le triomphe de sa première exposition en 1930 rue d’Isly à Alger.
En 1962, il trouve refuge à Salon de Provence mais l’envie de peindre l’abandonne doucement, la lumière saharienne n’est plus là.
- Albert MARQUET (1875-1947) célèbre comme paysagiste à partir de 1919 il voyage beaucoup et notamment en Tunisie et Algérie.
La mer est très présente dans ses œuvres, il a peint les ports de Marseille, Alger, Bougie, son thème idéal étant le port, les quais, les grues.
- Citons également Mme GUERIN épouse de Monsieur Guerin directeur de la SIP à Bougie et M. BOU.
III - Dans son livre "Histoire de Bougie", Yvan Comolli nous fait découvrir dans un chapitre particulier un autre aspect de ces peintres :
" Mais Bougie dans tout cela ?
Il fallait, pour ces artistes, y aller, ce qui n'était pas commode. Ça ne l'était pas du tout jusqu'en 1850, avant la fondation de la Villa Abd el Tif, au moment de la conquête.
Et pourtant nous possédons de cette époque des documents forts intéressants.
Tout d'abord le tableau célèbre de Horace Vernet (Musée de Versailles) représentant la prise d'assaut de la Porte Sarrazine. En réalité le peintre n'assista pas au Débarquement de 1833, mais peignit plus tard cette toile monumentale, d'après les récits qui lui furent faits et quelques gravures dessinées peu après la prise de la ville : l'une de 1833, l'autre de 1835 vraisemblablement.
Ensuite, certains voyageurs intrépides, arrivés par mer, saisirent sur le vifs des aspects, assez insolites pour nous, de notre ville.
Nous trouvons donc dans le " Voyage pittoresque dans la Régence d'Alger " exécutées en 1833, et lithographie par E. Lessore et W. Wyld, dédié à M. Horace Vernet (1835) une très belle vue de " Boudji " sitôt après le débarquement.
Dans un autre ouvrage très intéressant, les " Esquisses Africaines " dessinées pendant un voyage à Alger et lithographiées par Adolphe Otth (docteur en médecine et naturaliste suisse - 1803-1839) et imprimées par J.F. Wagner, lithographe à Berne, quatre des trente planches représentant des vues étonnamment précises de notre ville vers 1837. L'ouvrage a été édité en 1840 à Berne.
L'auteur dit dans son introduction : " Je fis d'Alger des excursions dans toutes les directions, et aussi loin qu'un voyageur isolé et sans protection le pouvait sans trop éminemment risquer sa vie. Je parcourus en tout sens le littoral accidenté d'Alger, la fameuse Plaine de Metidjah jusque près de Bélida, j'allais par mer à Bougia, ville presque entièrement dévastée par les Français, mais admirablement située au pied des rochers escarpés du Cap Carbon et entourée de la chaîne majestueuse de l'Atlas qui avance jusqu'au bord du vaste golfe. Une course sur la cime du Gourayah m'a montré l'Atlas dans toute son imposante grandeur, et m'a dédommagé en quelques sorte de l'impossibilité de la traverser jusqu'à Constantine ".
Nous sommes ainsi gratifiés d'une vue du " Cap Gourayah près de Bougia "(autrement dit le Cap Carbon) où l'auteur est enchanté de voir tant de singes en liberté.
Vient ensuite le " Fort Abdelkader "et l'antique " Porte Marine " à Bougie. Le commentaire en est intéressant : " Une autre ruine d'une architecture plus ancienne orne le devant de notre tableau, c'est un portail en ogive... " qu'il attribue, soit à avoir été l'entrée d'un petit port, du temps des romains (Saldae), soit encore du temps des Vandales, à cause de la forme ogivale de la voûte de la Porte Sarrazine.
L'on est ensuite gratifié, c'est bien le mot, d'une vue de la Casbah, et d'une autre du Port, dessinée depuis le fort Abdelkader.
Ces quatre planches sont exceptionnelles et méritaient qu'on les fasse figurer ici.
On y ajoutera une très belle eau-forte représentant la Port Sarrazine, extraite du " Croquis Algérien "de Paillard (1893).
Bien d'autres petites gravures d'auteurs inconnus se concentrent sur la Porte Sarrazine, ou la perspective des Forts Espagnols de Bougie, et le Golfe, vus depuis les pentes du Gouraya.
Enfin, n'oublions pas l'ouvrage monumental que j'ai déjà mentionné " Bougie, Die Perle Nord Afrikas ", édité en 1899 à Prague, écrit par un groupe de quatre Autrichiens et illustré par eux d'une quarantaine de gravures extraordinairement précises, balayant tous les aspects de notre site, et dont certaines sont reproduites ici.
Mais bien que Bougie ait été laissée un peu à l'écart de déferlement des grands Orientalistes qu'ont été à l'origine Delacroix, Chasseriaux, Fromentin, l'institution Abd el Tif du Docteur Alazard ont permis aux générations suivantes de fournir à la peinture française, et à notre Algérie, des interprètes de renom.
Parmi eux, Marius De Buzon (1879-1958) avec : le Port de Bougie (1943) - le Djebel Arbalou (Toudja) - le Cap Bouak - le Cap Carbon - différentes vues du Port et bien d'autres.
Marius de Buzon est mort en Algérie et la plupart de ses oeuvres ont été volées sur les quais d'Alger, alors que son fils s'apprêtait à les embarquer pour le Métropole.
Citons aussi Pruvost (de la villa Abd el Tif) retiré à Antibes qui nous a laissé quelques dessin du Port et une petite vue du Quartier kabyle dans le haut du ravin des Cinq Fontaines.
Il y a surtout Albert Marquet, dont la renommée s'est affirmée sur le plan international. Nous lui devons notamment quatre toiles sur le Port de Bougie peintes depuis la Place de Gueydon et la Maison Martel. L'une figure au Metropolitan Museum of New York, une au Musée de l'Ermitage à Saint Petersbourg, une autre au Musée National de Bruxelles et la quatrième est en possession de ma famille.
Enfin, il y a eu aussi, épris de Bougie, une pléiade de peintres Pieds-Noirs d'origine ou d'adoption, parmi lesquels il nous faut citer surtout Benjamin Sarraillon, replié et mort à Salon-de-Provence, auquel on doit d'admirables paysages : la Baie des Grandes Salines et la pointe Sainte Anne, le Cap Bouak, etc.
Citons aussi Randavel, que l'on a surnommé " le Corot de l'Afrique du Nord ", qui a peint surtout dans la région de Djidjelli (Oued Djen-Djen) mais aussi dans la Vallée de la Soummam.
Citons encore Rafel Tona, qui nous a laissé bien des vues sur des coins chers à nos coeurs : Les Oliviers, Le Port etc.
J'ai gardé pour la fin la mention d'un tableau assez singulier : c'est celui peint en 1865, pendant le second voyages de Napoléon III en Algérie, par l'un des peintres " officiels " qui accompagnaient l'Empereur : Durand-Brager qui, au côté de Gudin, s'est taillé une bonne réputation d'Orientaliste, et qui a laissé, vendues au Secrétaire Particulier de Sa Majesté, dix toiles de 0,15 x 1m représentant les escales de la flotte française dans tous les ports de la côte.
Comme on le sait, Napoléon III s'est arrêté un jour entier à Bougie pour passer en revue les troupes qui venaient de terminer la pacification des Babors, et cela nous vaut une vue insolite sur laquelle notre Gouraya est un peu " exalté ".
Incontestablement, malgré l'énorme production d'oeuvres peintes sur Alger et le Sahara, nous venons de voir que, de ce point de vue artistique, Bougie aura été, et elle le méritait bien, gâtée par les Trompettes de la Renommée. "